Dans l'analyse du rôle que jouent les anticipations dans la coordination des décisions économiques, l'application du principe de rationalité tient une place centrale. Bien des économistes ont évoqué cette idée. Cependant, on admet, le plus souvent, que le développement de la notion d'anticipations rationnelles trouve son origine dans la communication que présenta en 1959 John F. Muth au Meeting organisé par la Société d'économétrie. Si ce texte a été souvent cité et commenté, bien des aspects de l'œuvre de Muth restent mal expliqués et prêtent à discussion.
Un premier problème nait de l'attitude même de Muth vis-à-vis de sa proposition. En 1959 et en 1960, il rédigea trois textes qui traitent des anticipations rationnelles. Puis, apparemment, il se désintéressa de la question. Quand, en 1985, il revint sur cette question, ce fut de façon très critique. Comment faut-il interpréter son attitude ?
L'article que Muth publia en 1961, dans Econometrica, ne suscita jusqu'au début des années 1970 qu'un intérêt discret. Certes, il fut cité par des économistes célèbres comme Arrow et Negishi, mais bien rares furent ceux qui entreprirent de reprendre à leur compte son idée et de la développer. Pourquoi ce retard ? Faut-il incriminer, comme le fait Deirdre N. McCloskey, son écriture ? La difficulté n'était-elle pas plus réelle ? La lecture des textes de ceux qui, comme Lucas et Sargent, s'inspirèrent des thèses avancées par Muth doit permettre de mieux comprendre ce problème.
On évoquera, enfin, une troisième difficulté. Muth ne fut pas le seul à traiter de la rationalité des anticipations. Edwin Mills avança, à la même époque, des propositions comparables à celles de Muth. Il est curieux que sa contribution soit, aujourd'hui, oubliée. Mais, cette idée fut aussi développée dans d'autres domaines — la théorie des jeux, l'efficience des marchés — sans qu'une interaction apparaisse. Cela semble un peu étrange.
- Poster