L'économie des limites ou les limites de l'économie
Antonin Pottier  1@  
1 : Centre d'économie industrielle  (CERNA)  -  Site web
MINES ParisTech - École nationale supérieure des mines de Paris
60, boulevard Saint Michel, 75272 Paris Cedex 06 -  France

Dans un article sur ses précurseurs (The Early History of Environmental Economics, Reep, 20015), Sandmo se félicite que l'économie de l'environnement soit de plus en plus pertinente, que la méthode néoclassique permette d'embrasser un nombre croissant de cas. Cet article interroge cette assurance confiante dans l'économie de l'environnement. Il montre que la méthode néoclassique d'investigation du réel rend invisibles certains problèmes, et en particulier le problème des limites à la croissance. Deux moments particuliers sont examinés.

Le premier est la publication par Jevons de The Coal Question (1865). L'ouvrage de Jevons donne une version souterraine de l'état stationnaire de l'économie classique. Jevons y explicite et l'importance du charbon pour la production industrielle et la menace pour la croissance de l'activité que fait peser son épuisement. Il est significatif que Jevons ait choisi le cadre classique pour développer ses idées sur le rôle du charbon et non le cadre néo-classique qu'il avait lui-même bâti. Ce cadre se révèle incapable de prendre en charge les interrogations de Jevons. Cette incapacité n'est pas due à des développements insuffisants de la théorie mais semble être constitutive de la méthode néo-classique, comme le montre la comparaison entre les travaux de Jevons et ceux conduits sur le même sujet dans un cadre néo-classique.

Le second moment est constitué par la réaction des économistes au rapport du club de Rome (1972). Alors que, pendant les années 1960, se développe, à l'intérieur de l'économie, une approche basée sur la prise en compte des flux de matière, les retentissements du rapport du club de Rome éloignent les économistes de cette approche, qui conduisait directement à une interrogation sur les limites à la croissance. Pour contester les conclusions du rapport du club de Rome, ils s'efforcent de prouver la possibilité d'une croissance perpétuelle à l'aide de modèles mathématiques, qui reposent sur les propriétés spéciales des fonctions de production. Les économistes qui s'intéressent à la question des limites, comme Georgescu-Roegen, sont progressivement marginalisés au sein de l'économie néoclassique et se rassemblent plus tard dans l'économie écologique.


Ces deux moments constituent en quelque sorte deux expériences naturelles qui permettent d'éprouver la capacité de la théorie néoclassique à discuter les limites à la croissance. Ils témoignent d'une incapacité de la méthode néoclassique à se saisir de la question des limites. Cette incapacité est reliée à la fois au contenu de doctrine des néoclassiques, qui insiste dans un premier temps sur l'utilité retirée par la consommation des produits, au détriment d'une analyse des coûts de production, ainsi qu'à la méthode elle-même qui enquête sur le réel grâce à des modèles mathématiques formulés a priori. En dépit des succès rencontrés, l'économie de l'environnement, d'inspiration néoclassique, reste aveugle à certains problèmes.


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