Le libéralisme de Boisguilbert
Sylvie Rivot  1@  , Ragip Ege  1, *@  
1 : Université de Strasbourg  -  Website
université de Strasbourg
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* : Corresponding author

L'adversaire de Boisguilbert en double. Il s'agit tout d'abord de l'homme du système, de la tromperie de « bonne foi ». Avec Colbert en ligne de mire, Boisguilbert vise ici les interventionnistes bien intentionnés qui ne font rien d'autres que perturber le fonctionnement des marchés (efficaces par ailleurs) lorsqu'ils s'immiscent dans la régulation des prix, les prélèvements d'impôts exagérés et les règlements de toute sorte. Il s'agit ensuite du rentier, de l'homme de cour, de la « tromperie artificieuse » donc, qui trompe les gouvernants en diffusant des informations erronées, qui oriente l'action du décideur public dans son propre intérêt. De façon significative, les membres de l'Etat chez Boisguilbert font partie de la classe oisive, de sorte que les deux types de tromperie s'appliquent en réalité à la même classe rentière. Que ce soit de façon altruiste ou manipulatrice, ces deux types de perturbations du système entravent la concurrence équilibrée et donc l'établissement des « prix de proportion » (ceux qui correspondent à l'efficacité de la concurrence pure et parfaite) ; ils provoquent également des crises en empêchant l'état d'opulence (l'équilibre général optimal, disons) de se réaliser.

Face à ce double ennemi, le libéralisme de Boisguilbert consiste alors à redéfinir le rôle de la puissance publique dans l'économie. Tout d'abord, il faut souligner que le libéralisme de Boisguilbert n'est pas un libéralisme politique : Boisguilbert est un absolutiste, respectueux de l'ordre établi, et qui cherche en conséquence à établir le rôle du Prince dans une société basée sur l'échange marchand : contre les oisifs accaparateurs d'abord, contre les bienveillants perturbateurs également, et donc en partie contre lui-même (contre des individus appartenant à la même classe que le souverain). Ensuite, le libéralisme de Boisguilbert met en lumière qu'une société ayant quitté « l'état d'innocence » (la société primitive de troc) ne converge pas spontanément vers une économie de marché concurrentielle et efficace. Tout au contraire, l'avènement des échanges monétaires va de paire avec l'émergence d'une classe sociale non productive dont il s'agit d'orienter et de contrôler le comportement dans le sens du bien commun. Enfin, les concessions faites par Boisguilbert au sujet du commerce des grains, marché particulier et essentiel pour la survie de la communauté s'il en est, mettent en lumière que les « prix de proportion » ne n'établissent parfois pas d'eux-mêmes et requièrent donc en principe une intervention extérieure au marché.

Le libéralisme de Boisguilbert implique au final une certaine forme d'intervention du souverain contre lui-même (du moins contre les non-productifs comme lui) car l'efficacité de la concurrence n'est pas un ordre spontané. Veiller à la concurrence équilibrée, établir de l'extérieur parfois les prix de proportion, et aligner les intérêts des rentiers sur ceux de la classe productive, telles sont les missions essentielles de la puissance publique selon Boisguilbert.



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