De quelques lois « universelles » dans les Principles de J. S. Mill
Philippe Gillig  1@  
1 : Bureau d'Economie Théorique et Appliquée  (BETA)
université de Strasbourg

Mill est célèbre pour avoir donné une formulation épistémologique des analyses classiques. En particulier, les grandes lois ricardiennes de la répartition seraient fondées sur l'hypothèse du « désir de richesse », c'est-à-dire d'individus mus par leur intérêt dans un cadre concurrentiel. L'équilibre de marché est de ce fait vu comme le résultat d'interactions entre comportements sinon stratégiques, du moins maximisateurs, impulsés par les capitalistes, les rentiers et les salariés.

En déclarant que l'économie politique serait ainsi fondée sur l'hypothèse nécessaire du « désir de richesse », Mill conclut que les lois économiques n'auraient de validité que dans le cadre des sociétés capitalistes modernes où ce type de comportement s'épanouit librement. Pourtant, aux livres II et III des Principles of Political Economy (1848) qui traitent des lois de la distribution et de l'échange, et qui sont explicitement proclamées être relatives au capitalisme concurrentiel, Mill développe bien des analyses économiques d'une portée qui transcende tout type d'organisation sociale.

Nous retiendrons deux grands types d'analyse qui présentent, selon nous, des éléments théoriques d'ordre « universel ». Il s'agit d'abord de certaines réflexions élaborées par Mill au sujet des salaires, pour lesquelles nous discuterons l'affirmation, souvent répétées chez les commentateurs, selon laquelle il s'agirait de raisonnements purement « logiques » (voire « tautologiques ») et non véritablement économiques. Cette discussion sera l'occasion de mobiliser l'épistémologie de Kant qui nous semble éclairante sur ce point, en particulier le concept de « jugement synthétique a priori ».

La deuxième analyse que nous examinerons avec ce regard épistémologique est la loi des débouchés. Notre analyse confirmera l'idée, déjà défendue dans la littérature, qu'il est plus exact de parler d'une pluralité de lois des débouchés ayant des degrés de validité différents les unes des autres, remettant en cause le monisme méthodologique de Mill.

Dans les deux cas, la difficulté réside dans le fait de mettre en exergue des analyses « universelles » qui sont entremêlées avec des raisonnements, quant à eux, fondées sur l'hypothèse d'homo oeconomici en concurrence.

 

Ceci nous permettra de montrer que la pratique théorique de Mill l'économiste ne saurait se réduire aux principes épistémologiques qu'il a lui-même énoncés dans le System of Logic, dans l'Essay « On the Method... » et dans les Principles : son économie politique ne se limite pas à l'étude de la coordination d'agents poursuivant des intérêts pécuniaires dans un cadre concurrentiel. Notre thèse est que, dans ses deux ouvrages de méthode et dans son traité d'économie, sa définition de l'économie politique a en fait été formulée de manière trop restrictive. Autrement dit, sa pratique théorique excède ses principes épistémologiques.

 


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