L'associationnisme ouvrier de Philippe Buchez et de l'Atelier : une régulation du capitalisme par le devoir et le dévouement
Patrick Gilormini  1, 2@  
1 : Centre de recherche en économie de Grenoble  (CREG)  -  Site web
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2 : ESDES Université Catholique de Lyon
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Au XIXème siècle les idées économiques de Philippe Buchez (1796-1965) puis des ouvriers du journal L'Atelier se constituent au confluent de la conception organiciste de la société d'Henri de Saint Simon et du socialisme chrétien.

De ses études à la faculté de médecine de Paris, P. Buchez retient le projet d'élaborer une physiologie sociale permettant de guérir deux maux de l'économie politique classique la pauvreté et la domination. La société n'est pas uniquement l'expression des tendances individuelles, elle est soumise à des lois particulières, qu'il convient de découvrir par une science de l'histoire rendant compte du mouvement du progrès social par l'alternance de périodes critiques et de périodes organiques.

La pensée économique de Philippe Buchez s'inscrit dans une perspective morale qui prend acte de la lutte entre l'égoïsme et le désintéressement comme facteurs d'explication de toutes les actions humaines. Le progrès de l'humanité passe par le désintéressement qui devient une des conditions nécessaires à l'organisation de toute activité économique. L'individualisme et la concurrence exacerbée qui prévalent dans la société industrielle du XIXème siècle ne sauraient être pour lui un état social durable. La concurrence comme seule réglementation du travail conduit inéluctablement à une baisse des salaires des ouvriers et à la formation d'un prolétariat. Or toute activité économique est le produit d'un mouvement alternatif entre le besoin de conservation source de l'égoïsme et le besoin de sympathie source du dévouement.

La critique de Buchez envers l'économie politique classique porte sur la doctrine du bonheur qui depuis le XVIIIème siècle a fait de la libre satisfaction des appétits individuels la finalité de toute action. Cette quête égoïste empêche tout progrès social car celui-ci nécessite le développement de devoirs volontaires. Une éducation morale chrétienne est alors une des conditions préalable à ce progrès. Elle suppose le renoncement à l'intérêt individuel qui est une des conditions nécessaires à l'efficacité de l'association, principe économique supérieur à la concurrence. C'est vers 1830 qu'il élabore sa doctrine de l'association en vue de l'amélioration du sort de la classe ouvrière. Ce progrès va s'opérer par le perfectionnement de son instruction, morale intellectuelle et technique et par un changement de la réglementation du travail. Sa vision économique vise à réguler par l'association et l'organisation pouvoirs et contre-pouvoirs qui ne peuvent être laissés au hasard des forces naturelles mais doivent être soumis à des valeurs morales.

Entre 1840 et 1850, le journal l'Atelier reprend les idées de Philippe Buchez en approfondissant la voie de l'association ouvrière. Refusant la solution paternaliste et la solution collectiviste, il s'agit par l'association indissoluble, indivisible et inaliénable de s'affranchir du salariat. Les ouvriers de l'Atelier ont appris de l'école de Buchez à traquer l'égoïsme sous toutes ses formes et dans tous ses replis, en questionnant la valeur sociale de toute association d'individus sur son « but d'activité ». Celui-ci seul permet de juger de son caractère moral selon qu'il vise soit une communauté d'œuvres soit un rassemblement d'intérêts. Pour les ouvriers de l'Atelier, l'accomplissement dévoué du devoir doit devenir la règle prévenant le glissement fatal de la fraternité vers la jouissance des biens matériels. 


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