Le 16e colloque international de l’Association Charles Gide pour l’Etude de la Pensée Economique se tiendra à l’Université de Strasbourg du 14 au 16 avril 2016. Cette manifestation est organisée par le Bureau d’Etude Théorique et Appliquée (BETA, UMR 7522 du CNRS).
Ce colloque international proposera des sessions sur le thème « Anticipations, conjectures et coordination ». Il accueillera également des communications portant sur l'ensemble des thèmes relevant de l'histoire de la pensée et de la philosophie économique.
Anticipations, conjectures et coordination
L’analyse économique contemporaine naît avec la question des interactions stratégiques entre les individus. Au tournant des 17e et 18e siècle, Boisguilbert déjà plaçait la question de l’information disponible et de la formation des anticipations au cœur de son explication des fluctuations économiques. Ainsi, les anticipations de prix futurs formées par les acteurs sur les marchés agricoles peuvent pour Boisguilbert s’avérer tout aussi bien stabilisatrices que déstabilisatrices, selon que l’économie se trouve en régime de libre-échange ou de prohibitions.
A son tour, Smith nous prévenait s’agissant de l’échange marchand : « ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt ». Cette fois, c’est d’une relation interpersonnelle qu’il s’agit : un individu consommateur escomptant l’obtention d’un bien d’un producteur bienveillant aurait toutes les chances de voir sa conjecture invalidée. Satisfaire ses besoins au travers de l’échange marchand nécessite ainsi de prévoir correctement le comportement des autres, autrement dit leurs propres conjectures.
Presqu’un siècle plus tard, mais dans une optique assez similaire, par sa loi du débit, Cournot initiait la question des anticipations de prix dans le fonctionnement des marchés. Il établissait en effet une relation empirique entre le prix d’une marchandise et sa fonction de demande : « une denrée est ordinairement d’autant plus demandée qu’elle est moins chère ». Cournot allait même plus loin : non seulement chaque producteur anticipe les réactions des demandeurs, mais il doit également conjecturer les actions des autres producteurs. Avec lui, information et anticipations sont désormais au centre des décisions individuelles. L’équilibre de marché vu comme le résultat d’interactions entre comportements stratégiques impulsés par les uns et les autres en découle.
Avec la parabole du concours de beauté proposée par Keynes, le mécanisme de coordination ne concerne plus seulement l’anticipation d’un individu quant aux résultats du comportement des autres agents, mais interroge le fondement même de ces résultats : comment un individu anticipe-t-il que les autres individus forment leurs anticipations ?
Enfin, avec l’approche des anticipations rationnelles impulsée par Lucas, la question des interactions stratégiques s’étend à la coordination entre les autorités et les agents privés.
Avec ce thème de réflexion, c’est donc la question des conjectures et des anticipations que nous proposons d’interroger selon des perspectives complémentaires. Une première voie d’exploration consisterait par exemple à interroger la manière dont les économistes ont supposé que les acteurs formaient leurs prévisions : sur quelles bases de connaissance ? Et en escomptant quels types de comportement de la part des autres individus ? Une deuxième piste de recherche pourrait être d’analyser comment, selon les époques, la question de l’équilibre de marché a été traitée. Comment ces prévisions font-elles émerger un résultat de marché spécifique ? Et comment les individus se coordonnent-ils sur tel ou tel équilibre ? Une troisième piste de réflexion découlant de ces questionnements traiterait ainsi de l’intervention publique : comment l’Etat peut-il influencer l’équilibre de marché résultant des interactions entre décisions individuelles en transformant la manière dont s’élaborent et se coordonnent ces prévisions ?